Les variables qualité, rapidité, bon marché chez les céramistes

Il y a quelques semaines, je suis tombée sur une publication sur les réseaux qui m’a fait tiquer.
Quelqu’un se plaignait de la lenteur d’une céramiste à répondre.

En essayant de lui expliquer les délais, j’ai compris qu’il s’agissait d’un « partenariat ». Ce mot qui veut souvent dire : pas rémunérée pour la pièce « test ».
Et pourtant, on attendait de cette personne de la réactivité ?

C’est normal qu’une pièce non payée passe en tout dernier dans la liste des priorités. Le temps est une donnée incompressible, on ne peut pas le sacrifier au nom de la visibilité, de la passion, ou de la gentillesse.

Le triangle des compromis

On appelle ça le triangle qualité – rapidité – bon marché. On peut en choisir deux, jamais les trois.

• Qualité : des soignées, aux finitions irréprochables
• Rapidité : une production réactive, des commandes livrées vite
• Bon marché : des prix « accessibles », moins cher que les concurrents

Vous pensez pouvoir faire les trois ? Cela vous conduira à l’épuisement ou à une perte de sens dans votre travail.

Trois exemples personnels

Variable « rapidité »

Il y a quelques années, j’ai été approchée pour un projet de pièce de luxe.

• Elle était assez « simple » : un grand cylindre avec un logo floqué dessus. Mais les finitions devaient être irréprochables.
• Le prix était raisonnable, mais assez bon marché au vue des finitions attendues. Sachant qu’ils prévoyaient de la revendre 4 fois le prix qu’ils me payaient. 
• À la base, on n’avait pas parlé de délai avec mes clients, mais un jour ils m’ont demandé de rendre la pièce sous 1 semaine…

D’après vous, que s’est-il passé ? J’ai voulu accélérer le séchage, et la pièce a fissuré. J’avais passé des jours à faire plusieurs prototypes pour avoir la perfection qu’ils attendaient, et mon travail était fichu.

Je leur ai expliqué que nous ne pourrions finalement pas faire le projet. Que les exigences n’étaient pas compatibles avec un atelier comme le mien. Ils n’ont payé que le premier prototype que je leur avais fait, je leur ai « offert » la semaine de travail en plus pour rien. 

Moral : il fallait respecter une variable de temps plus longue pour obtenir le résultat attendu. 
D’ailleurs, cette pièce n’a jamais vu le jour, ils n’ont pas trouvé de céramiste acceptant leur projet, ou alors ils l’ont abandonné.

Variable « bon marché »

J’ai été contactée en début d’année par une personne pour faire une pièce sur-mesure.

Il attend une pièce particulièrement complexe en termes de décor. Et il a un budget beaucoup plus bas que mes prix habituels. Cependant, il a une deadline de plus de 6 mois ! J’ai donc accepté le projet, que je ferai quand j’ai des périodes de creux.

C’est donc la variable « budget » qui est mise de côté cette fois. 

Variable qualité

Dernier projet à vous partager, j’ai été approchée par une grande enseigne pour faire des worry stones.

Bien sûr ces enseignes nationales veulent les trois variables… Mais les plus importantes pour elles sont rapidité et bon marché. On parle quand même d’un devis à 10 000€ pour une production en moins d’un mois.

J’ai donc créé des modèles qui peuvent se faire extrèmement rapidement, et qui sont donc moins chers, mais aussi moins qualitatifs que ma production habituelle. 

Résultat ? Je n’aurais même pas accepté de faire les prototypes si j’avais su qu’une pièce à 4€50 était trop chère pour eux ! Ils ont décidé de faire des devis dans des industries en Europe de l’est… On ne peut pas comparer artisanat et travail industriel.

Concrètement, pour un·e céramiste, ça donne quoi ?

Qualité + Rapidité = Pas bon marché

Produire des pièces très soignées dans un délai court, ça veut dire plus d’heures à l’atelier, des cuissons dédiées, une désorganisation du planning… tout ça doit être valorisé.

Qualité + Bon marché = Pas rapide

Proposer des pièces de qualité à petit prix, c’est possible, mais ça impose d’accepter un rythme lent : on profite de certaines cuissons pour mettre les pièces dans le four, on fait passer le projet en dernier dans son planning…

Rapidité + Bon marché = Pas de qualité

Travailler dans l’urgence à petit prix, c’est aller contre les lois physiques de la céramique : séchage trop rapide, émaillage mal fini, cuisson précipitée. Ça donne des pièces moins belles, qui peuvent aussi casser. 

Le temps, notre vraie matière première

On a beau vendre des pièces faites d’argile, ce qu’on vend vraiment, c’est du temps transformé : temps de recherche, de modelage / tournage, de séchage, d’attente, de cuisson…

Or, ce temps-là est souvent invisible pour le client. Il ne peut pas forcément comprendre qu’on lui annonce 3 semaines de délai pour « juste une assiette personnalisée ».

Mais le temps est au cœur de notre travail. Prendre le temps, c’est aussi faire de la bonne qualité de travail. Et comme dit le dicton, « le temps, c’est de l’argent ». Donc s’il y a bien une variable à respecter, c’est celle-ci. 

Poser un cadre : choisir où on place le curseur

Le triangle qualité / rapidité / bon marché n’est pas là pour nous piéger, mais pour nous aider à décider :

• Vous voulez proposer des pièces accessibles ? Prévenez que le délai sera plus long.
• Vous avez envie de répondre à une commande urgente ? Prenez en compte les coûts réels et ajustez votre tarif.
• Vous misez tout sur la qualité ? Donnez-vous le temps de le faire, et ne bradez pas

Et surtout, expliquez-le clairement à vos clients !
Beaucoup de malentendus viennent d’un manque de communication, pas d’un manque de bonne volonté.

Ce que je retiens

Ces variables nous permettent de poser un cadre sain et à construire un métier qui nous respecte.

À vous de jouer : où est-ce que vous placez votre curseur aujourd’hui ?
Et est-ce qu’il est aligné avec ce que vous voulez vraiment ?